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La voix de l'Abkhazes

-------------------- D'Informations d'Abkhazie --------------------



 
 L'indépendance de l'Abkhazie, un rêve de 90 ans

 

Par Nikolaï Troïtsky, Il y a 90 ans, le 4 mars 1921, le régime soviétique était proclamé en Abkhazie. Aujourd’hui, la république ne célèbre pas cette fête, car elle n’est pas devenue la Journée de l’indépendance. Il convient de noter que pour la population d’Abkhazie il s’agit uniquement de l’indépendance par rapport à la Géorgie. Ses relations avec la Russie sous toutes ses formes s’établissaient selon un principe foncièrement différent.
 

Deux mondes, deux histoires
 

La présence au sein de l’Empire russe ne gênait aucunement la population abkhaze. Auparavant elle était tributaire de l’Empire ottoman, ce qui ne lui convenait pas du tout et elle s’est révoltée à plusieurs reprises. Mais elle n’avait rien contre l’empereur russe. Bien sûr, cela ne concernait pas les mencheviks et les bolcheviks abkhazes, mais il était difficile de qualifier leur combat de lutte de libération nationale. En tant qu’internationalistes dignes de ce nom, ils plaidaient pour le bonheur abstrait des ouvriers et des paysans.
 

Mais lorsqu’en 1917 l’empire s’est effondré pour la première fois, l’Abkhazie a été confrontée à la question suivante: que faire désormais? Et le plus intéressant a commencé: entre Moscou et l’Abkhazie s’étendait une zone contrôlée par l’Armée blanche, or à Tbilissi s’est formée la République démocratique de Géorgie indépendante dirigée par les mencheviks. Il était tout à fait naturel d’ouvrir des négociations avec ces derniers. A partir d’ici, l’histoire devient floue. Ou plutôt deux histoires alternatives font leur apparition.
 

Dans le Caucase c’est une chose ordinaire. Dans tous les Etats l’histoire est interprétée différemment, à sa manière, et sous le gouvernement soviétique commun ce fut le cas également. Je me souviens comme en 1981 le guide d’un musée à Tbilissi racontait qu’à l’époque du haut Moyen Âge l’Arménie faisait partir du Royaume de Géorgie. Cette affirmation a été immédiatement réfutée par une étudiante arménienne présente parmi les touristes. Elle a déclaré qu’en réalité la Géorgie avait appartenu au Royaume d’Arménie. Toutefois, il est possible qu’ils aient parlé d'époques différentes.
 

Mais tout cela n’est que de l’antiquité, "des choses appartenant au passé." Cependant, l’histoire relativement récente devient également variable. Cela concerne notamment les négociations entre la Géorgie et l’Abkhazie menées en 1918. Seule la signature à l’issue des négociations d’un accord entre le Conseil national de Géorgie et le Conseil populaire d’Abkhazie (deux organismes gouvernementaux provisoires) est une certitude.
 

Or, l’esprit et la lettre de cet accord sont interprétés très différemment de part et d’autre de la frontière. Conformément à la version officielle de Tbilissi, le Conseil populaire a donné l’accord à l’adhésion de l’Abkhazie à la Géorgie en tant que république autonome. Cependant, selon la version de Soukhoumi, il y est écrit: "La forme de la structure politique de l’Abkhazie devra être élaboré conformément au principe d’autodétermination nationale à l’Assemblé constituante d’Abkhazie."
 

Et en 1990, le Soviet suprême d’Abkhazie a même adopté une résolution qui stipulait: "Reconnaître que la République démocratique de Géorgie, en enfreignant le Traité du 11 juin 1918, ainsi que l’accord conclu entre le Conseil populaire d’Abkhazie et le Conseil national de Géorgie le 9 février 1918, dans la seconde moitié du mois de juin 1918 est intervenue militairement dans le but d'annexer les territoires de l’Abkhazie et abolir l’indépendance du peuple abkhaze." Bien sûr, les historiens géorgiens rejettent cette version.
 

Il est curieux que le texte de l’accord qu’il a été possible de trouver sur internet n’inclut ni la phrase concernant la "forme de la futur structure politique de l’Abkhazie", ni rien sur l’autonomie de l’Abkhazie. On y parle seulement des intérêts communs et d’aide mutuelle. Toutefois, la véracité du texte de l’accord publié sur le site géorgien de propagande, où l’Abkhazie est qualifiée de "territoire occupé" suscite de nombreux doutes.
 

L’occupation ou l’autonomie
 

Que s’est-il réellement passé? Très probablement, la vérité est quelque part entre les deux. Les mencheviks représentaient la majorité, aussi bien au sein du Conseil national de Géorgie que du Conseil populaire d’Abkhazie. A leurs yeux, les actions conjointes étaient probablement plus importantes que les litiges interethniques et les discussions sur l’indépendance, et il n’existe aucune certitude qu’elles reflétaient les opinions du peuple.
 

Par ailleurs, les historiens géorgiens taisent modestement que la souveraineté de la "république démocratique" de Géorgie était tout simplement nominale. Son territoire était occupé par l’armée allemande, et ce sont les Allemands avec les troupes géorgiennes qui ont occupé l’Abkhazie. Puis, l’armée allemande a été remplacée par les troupes britanniques. Et cet Etat tampon avec un gouvernement fantoche a été supprimé en février 1921 par l’Armée rouge.
 

Après cela l’Abkhazie a été proclamée République socialiste soviétique. Précisément ainsi. L’appellation officielle n’incluait même pas le terme "autonome." Après la formation de l’URSS, l’Abkhazie a tout de même adhéré à la Géorgie, mais à des conditions et avec un statut particulier.
 

La première constitution soviétique de la république stipulait: "La République soviétique d’Abkhazie, en adhérant à la République soviétique de Géorgie en vertu d’un traité d’union particulier, adhère ainsi à la République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie et, au sein de cette dernière, à l’URSS."
 

En 1931, ce "gâteau politique multicouche" a été supprimé, et l’Abkhazie est devenue une simple république socialiste soviétique autonome. Cela n’a certainement pas coïncidé par hasard avec le renforcement de la position au Kremlin du célèbre Joseph Staline, originaire de Géorgie. Quoi qu’il en soit, précisément sur son ordre et grâce à l’aide active de son compatriote Lavrenti Beria, des dizaines de milliers de Géorgiens ont été envoyés coloniser la nouvelle autonomie. A la suite de quoi les Abkhazes ethniques se sont retrouvés en minorité dans leur patrie. Ce fait n’est réfuté par aucun historien sérieux.
 

La population autochtone de l’Abkhazie était indignée par cette circonstance, mais tant que Staline et Beria restaient au pouvoir, pour des raisons évidentes elle n’osait pas se plaindre. A partir de 1953, le mécontentement a commencé à croître.
 

Le prix du rêve réalisé
 

Dans les années 1970, j’ai visité les villes abkhazes de Gagra et de Soukhoumi où j’ai pu personnellement voir la manifestation violente de "l’amitié des peuples" entre les deux groupes ethniques (les Géorgiens et les Abkhazes). Bien sûr, ces phénomènes étaient présentés en tant que conflits anodins. Néanmoins, ces deux peuples étaient prêts à intégrer la nouvelle communauté "peuple soviétique" en gestation, mais seulement séparément.
 

Lorsqu’à la fin des années 80 les tendances centrifuges se sont renforcées, la question de l’indépendance de l’Abkhazie a été inévitablement soulevée à l’ordre du jour. D’ailleurs, l’Abkhazie n’avait pas l’intention de quitter l’URSS, le statut de république au sein de l’Union lui convenait amplement.
 

Les nombreuses rencontres et entretiens de l’auteur de ces lignes avec la population abkhaze ont montré qu’elle réfléchissait de manière pragmatique et réaliste. Autrement dit, elle était parfaitement consciente qu’elle n’était pas prête à assumer une véritable indépendance étatique. Ne serait-ce que pour des raisons économiques. Cependant, l’Abkhazie estimait qu’il était nécessaire de se séparer de la Géorgie.
 

En fait, en discutant avec les Géorgiens j’ai eu l’impression qu’ils en étaient également conscients. "Mais nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un si beau littoral", a cyniquement déclaré l’un de mes interlocuteurs. Mais en fin de compte, les Géorgiens ont perdu cette partie de la côte de la mer Noire. Au prix d’un bain de sang, d’un grand nombre de victimes et de la souffrance de dizaines de milliers de réfugiés.
 

Je rends souvent visite à une famille abkhaze vivant à Moscou, et à chaque fois je suis choqué par les expressions "c’était encore avant la guerre" ou "après la guerre", prononcées simplement et naturellement. En parlant non pas de la Grande guerre nationale du peuple soviétique tout entier, mais de la récente guerre des Abkhazes contre la Géorgie pour l’indépendance de leur république qui a duré de nombreuses années.
 

Intégrer la Russie est politiquement irréel, et l’Abkhazie en est consciente. Mais elle a atteint son objectif principal: l'indépendance. Son rêve de plus de 90 ans s’est enfin réalisé.
 

Ce texte n’engage pas la responsabilité RIA Novosti

 

04.03.2011  RIA Novosti